
La «classe affaires» pour le fret
À la différence de certains passagers, «le fret ne râle pas». Mais comparé à d’autres modes de transport, l’avion se montre assez exigeant. Ci-dessous un entretien sur la stratégie avec Glyn Hughes, peu après son entrée en fonctions (cf. ITJ Daily du 11.6.).
Monsieur Hughes, félicitations pour votre nouveau poste! Comment l’avez-vous obtenu?
Merci. J’ai été très honoré lorsqu’on m’a prié de poursuivre l’excellent travail de mon prédécesseur Des Vertannes qui s’est engagé sans relâche pour le développement de la branche du fret aérien. Pour ma part, j’ai débuté ma carrière au sein du département fret de British Caledonian. Lorsque la compagnie a fusionné avec British Airways, j’ai opté pour Air Europe. À l’époque j’étais spécialisé dans les finances, la formation et la standardisation. En 1991, j’ai rejoint l’Iata où j’ai eu le plaisir de travailler avec Colin Stevenson, manager fret chargé du Royaume-Uni et un grand collègue. Ensemble nous avons lancé CASS UK.
Cela fait donc pas mal de temps que vous travaillez dans le secteur fret aérien. De quelle façon la branche a-t-elle changé au cours de cette période?
Il est intéressant de constater que certains secteurs ont à peine changé. Le plan d’affaires fondamental et les éléments opérationnels sont presque les mêmes qu’au milieu des années 1980 lorsque j’ai fait mes débuts.
Les innovations portent sur la disponibilité et la diversité des techniques mises au point, même si elles n’ont pas encore été combinées de façon efficace. Depuis l’époque des agences les relations avec les transitaires ne sont plus les mêmes et ont abouti à celles existant actuellement entre client et prestataire de service. Le nombre de solutions spécialisées en supply chain a également fortement augmenté ces dernières décennies et nous avons désormais des produits qui attachent beaucoup d’importance à la qualité, à la ponctualité et à des températures précises en proposant aux chargeurs des offres sur mesure.
Quels sont actuellement les plus grands défis que doit relever le fret aérien?
Les chargeurs ont un choix de plus en plus grand parmi les modes de transport et nous devons garantir que le fret aérien leur convient. Il doit donc justifier sa position de mode premium en augmentant les normes de qualité, en améliorant la fiabilité et la transparence et en raccourcissant les délais de transport.
Les «points brûlants» auxquels vous souhaitez vous attaquer en premier sont lesquels?
L’E-Cargo figure encore en première position de l’agenda. Nous réalisons de bons progrès concernant la lettre de transport électronique, mais sommes encore très éloignés de l’objectif fixé pour fin 2014, à savoir un taux d’utilisation de 22% dans la branche.
L’autre priorité est la modernisation du programme d’agence. Nous travaillons dur avec notre partenaire la Fiata pour mettre au point un nouveau programme dont profiteront tous les acteurs. Notre objectif est de conclure les négociations et de procéder début 2015 à des projets pilote.
Comment envisagez-vous la coopération avec les autres membres du Global Air Cargo Advisory Group (Gacag)?
Je suis très fier du rôle que ce groupement joue au sein de la branche et l’Iata soutient pleinement le Gacag ainsi que ses points de vue. La coopération entre les membres du Gacag est très étroite et j’aimerais surtout souligner le rôle de leader de la Tiaca. Je pense qu’il est temps que d’autres partenaires, y compris l’Iata, assument plus de tâches.
Où positionnez-vous le fret aérien par rapport à d’autres modes de transport?
Comme dit, le choix du mode de transport est une dure réalité et nous avons déjà constaté que certaines marchandises, par exemple des semi-conducteurs, sont passées de l’aérien à la voie maritime ou ferroviaire. Les taux d’intérêt bas font baisser la pression dans le cas de menaces financières lors de dépassements des délais de livraison. Nous entrons toutefois dans un nouveau cycle conjoncturel et le fret aérien améliore sa contribution en valeur, ce qui me rend donc optimiste et me fait dire que la branche pourra s’affirmer.
Veuillez nous décrire en quelques mots la situation du fret aérien dans les différentes régions du monde et ses perspectives à court terme.
La croissance du fret varie beaucoup selon les régions. Il n’est guère surprenant que l’évolution au Moyen-Orient ait été brillante ces dernières années et que cela devrait perdurer. Les compagnies aériennes du Golfe ont surtout profité du commerce Est–Ouest entre les pays développés tout en mettant également en valeur de nouvelles routes vers le sud.
L’Amérique latine et l’Afrique ont connu des hauts et des bas, mais ont un grand potentiel. C’est surtout l’Amérique du Sud qui a enregistré une forte croissance. Seul bémol: cette croissance dépend des grands pays, Brésil et Argentine, qui ont montré quelques signes de faiblesse. Les marchés mûrs européens et nord-américains «digèrent» encore la terrible récession de 2008/2009. Après un redressement considérable en 2010, la croissance du volume a été «nivelée» et reflète la faiblesse générale de ces économies. Il existe toutefois des signes indiquant un regain de croissance.
La région Asie/Pacifique demeure, et de loin, le marché le plus important et le fret contribue à la santé financière de nombreuses compagnies aériennes de la région. Heureusement les inquiétudes à propos d’un atterrissage brutal de la Chine commencent à s’estomper. C’est une bonne nouvelle qui permet de pronostiquer une croissance plus soutenue pendant le reste de l’année.
L’Iata est domiciliée à Montréal et a une antenne à Genève. N’est-elle pas très loin des marchés de l’avenir?
Au contraire! Grâce à nos cinq bureaux régionaux, Amman, Beijing, Madrid, Miami et Singapour, nous sommes présents partout. Depuis juillet 2013, nous sommes en outre organisés selon la devise «développement global, application régionale» et nos bureaux peuvent ainsi mieux répondre aux besoins de la branche. Nous les assistons en cas de besoin.
Cette année, l’Iata célèbre le centenaire de l’aviation civile (www.flying100years.com). Le fret aérien en a fait de même il y a déjà quatre ans. On pourrait avoir l’impression que le trafic passagers a dépassé le fret. Quand sera-t-il aussi simple de fixer des normes globales dans le fret que dans le trafic passagers?
Dans le cadre du centenaire, le fret aérien joue un rôle important. Sa contribution au fonctionnement du monde moderne est indéniable et une de nos principales missions consiste à rappeler ce fait au public, et en particulier aux décideurs politiques. C’est d’ailleurs le thème central de notre campagne sur «La valeur du fret aérien».
En ce qui concerne les normes globales, il en existe déjà toute une série, par exemple les réglementations sur les marchandises dangereuses. L’Iata coopère étroitement avec l’Oaci afin que des standards soient élaborés et appliqués partout où cela est possible. Je ne suis donc pas d’accord pour dire que le fret a été dépassé, même si à l’avenir nous aimerions assister à une harmonisation encore plus forte.
Où en sera le fret aérien dans un lointain avenir, disons par exemple dans 75 ans?
Il est très difficile de faire des prévisions à aussi long terme... Mon rôle consiste à garantir que la branche est un pleine forme et compétitive pendant la décennie en cours et au-delà. Je suis néanmoins certain d’une chose: c’est qu’il y aura toujours un besoin de trafic fret aérien. Même si nous allons sans aucun doute connaître au cours du prochain siècle de gros progrès concernant des techniques telles que l’impression 3D, certaines marchandises devront encore prendre la voie aérienne. Je pense en outre que par rapport aux autres modes le fret aérien pourra être compétitif et conservera son rôle de mode premium. Pour acheminer quelque part une marchandise de façon rapide, sûre et fiable, le fret aérien sera également à l’avenir le premier choix dans le monde entier.